Résultats d’une méta-analyse sur la base de 103 articles scientifiques.
En tant que bioindicateur, les communautés de nématodes renseignent sur l’état des réseaux d’organismes du sol et permettent d’évaluer l’impact des pratiques agricoles sur l’état biologique des sols.
Cette étude scientifique publiée en 2021, conduite dans la cadre du projet Ipanema (2019-2021) en collaboration entre l’IRD et ELISOL environnement fait le point sur la réponse des nématodes aux différentes « familles » de pratiques agricoles : diversité végétale, fertilisation, travail du sol, pesticides. L’effet « système de culture » dans son ensemble a aussi été évalué : agriculture conventionnelle versus agriculture biologique versus agriculture de conservation.
L’article a été publié, en accès libre, dans la revue scientifique internationale Soil Biology and Biochemistry.
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En quoi a consisté cette étude ?
Les données présentes dans environ 500 publications scientifiques internationales caractérisant la réponse de la nématofaune aux pratiques agricoles ont été analysées. Parmi celles-ci, 103 présentaient des résultats exploitables dans le cadre d’une analyse statistique en présentant dans l’article à la fois 1) les résultats de l’effet des pratiques en comparaison à un témoin pertinent et 2) les résultats moyens ainsi que les écarts à la moyenne pour chaque paramètre étudié.
Les études réalisées en Europe, Asie, Amérique et, dans une moindre mesure, en Afrique concernaient par ordre décroissant : la fertilisation, la diversité végétale, les pesticides, le travail du sol et les systèmes.
Comment ont été exploités les résultats des études compilées ?
Les 1 338 observations extraites de ces articles ont été exploitées statistiquement : l’analyse a consisté à comparer l’effet de chaque pratique à un témoin.
Les comparaisons réalisées sont les suivantes :
- pour la diversité végétale : rotation comparée à monoculture, association comparée à culture mono-spécifique, présence de cultures intermédiaires comparée à sol laissé nu pendant la même période ;
- Pour la fertilisation : fertilisation minérale comparée à aucun apport de fertilisant, fertilisation organique comparée à aucun apport de fertilisant et fertilisation mixte comparée à aucun apport de fertilisant ;
- pour le travail du sol : labour conventionnel (retournement > 20 cm) comparé à une absence de travail du sol, travail superficiel sans retournement (utilisé en agriculture de conservation) comparé à une absence de travail du sol ;
- pour les biocides : apport de nématicides comparé à aucun apport de nématicides, apport d’herbicides comparé à aucun apport d’herbicides, apport d’autres biocides comparé à aucun apport de biocides.
En quoi consiste une analyse de la nématofaune du sol ?
L’analyse de la nématofaune se caractérise par le calcul d’un ensemble de paramètres.
Dans l’étude, 12 paramètres de la nématofaune ont été étudiés :
- les abondances des différents groupes fonctionnels (quatre groupes : bactérivores, fongivores, omni-prédateurs et phytophages) et le nombre total de nématodes présents dans le sol
- des indices nématofauniques relatifs au fonctionnement du sol (cinq indices) et à la diversité des organismes (deux indices).
Les effets des pratiques sur les paramètres nématofauniques sont dépendants de différents modérateurs : conditions pédoclimatiques de l’essai (dont la teneur en carbone du sol, sa texture, son pH), ainsi que l’abondance des nématodes dans la modalité témoin et la durée qui s’est écoulée depuis la mise en place de la pratique évaluée. Toutefois, de nombreux effets significatifs des pratiques agricoles sur la nématofaune ont été mis en évidence (voir paragraphes suivants).
Il est à noter que ce ne sont pas toujours les mêmes paramètres de la nématofaune qui sont impactés par les différentes pratiques agricoles : cela illustre le fait que ces paramètres sont complémentaires ; ils renseignent sur des aspects différents du fonctionnement biologique du sol et des fonctions portées par les organismes présents.
Quels sont les effets de l’implantation d’une diversité végétale sur les nématodes du sol?
– Rotations : réaliser une rotation de cultures (> 3 ans) induit une diminution des nématodes phytophages de 47 %. Cela permet également d’augmenter la diversité des organismes présents dans le sol.
– Associations : peu d’effets de la présence de plusieurs cultures en association ont été mis en évidence : sur les 12 paramètres de la nématofaune évalués.
– Inter-cultures : la présence de cultures intermédiaires, quelles qu’elles soient, en réduisant la période de sol nu est très favorable à une plus forte activité biologique : elle favorise l’abondance de tous les groupes trophiques de nématodes et plus particulièrement les bactérivores et les phytophages.
Quels sont les effets de la fertilisation sur les nématodes du sol ?
– La fertilisation minérale n’impacte pas l’abondance des organismes. En revanche, elle conduit à la diminution de la diversité et elle conduit également, sans surprise, à l’augmentation des indicateurs des flux de nutriments (en particulier l’Indice d’Enrichissement).
– La fertilisation organique induit une forte augmentation des bactérivores et des fongivores (respectivement 113 % et 141 % dans l’étude), mais également des omni-prédateurs. De plus elle tend à augmenter la diversité ainsi que les indicateurs des flux de nutriments (en particulier l’Indice d’Enrichissement).
Quels sont les effets du travail du sol sur les nématodes ?
L’impact majeur du travail du sol (labour et travail superficiel sans retournement) est la diminution l’abondance des nématodes omni-prédateurs. Ces organismes sont reconnus comme sensibles aux perturbations. La diversité est également impactée négativement, mais dans une faible mesure.
Le labour conventionnel (> 20 cm) réduit la structure du réseau trophique de 26 %.
Quels sont les effets de l’application de biocides sur les nématodes du sol ?
– Les apports de biocides, en particulier de nématicides, diminuent la structure du réseau trophique et favorisent les taxons à multiplication rapide.
– Les nématicides (molécules qui sont maintenant interdites dans l’Union européenne) affectent négativement l’abondance de tous les groupes trophiques de plus de 30 % en moyenne.
– L’utilisation d’herbicides (différentes molécules actives confondues) a peu d’effet à cette échelle globale.
Et si l’on utilise ces résultats pour classer les pratiques selon leurs effets sur les communautés de nématodes du sol, et en considèrant l’effet moyen des pratiques sur la nématofaune (intégration des 12 paramètres), les pratiques qui ont le plus d’impact sont, par ordre décroissant:
- une fertilisation mixte (minérale + organique) : effets positifs,
- la présence d’inter-cultures : effets positifs,
- l’application de nématicides : effets négatifs,
- la fertilisation organique : effets positifs,
- l’application de pesticides (hors nématicides et herbicides) : effets négatifs,
- la réalisation d’une rotation : effets positifs,
- le travail du sol : effets négatifs.
A contrario, les pratiques ayant montré le moins d’influence sur les paramètres biologiques sont :
- les herbicides ;
- l’association de cultures ;
- la fertilisation minérale.
L’effet moyen le plus élevé sur les différents paramètres nématofauniques a été obtenu pour la conversion d’un système en agriculture conventionnelle en agriculture de conservation. L’agriculture biologique favorise essentiellement une plus forte activité biologique, essentiellement liée aux bactérivores, sans permettre une complexification du réseau trophique.
Les résultats de cette étude synthétisent des connaissances acquises au préalable dans des expérimentations nombreuses et confirment la sensibilité du bioindicateur nématofaune aux pratiques agricoles ; cette sensibilité est en grande partie liée à la possibilité de prendre en compte plusieurs paramètres complémentaires issus de l’analyse de la nématofaune, paramètres qui reflètent différents aspects du fonctionnement du sol.