(Photo : Clément Paurd)
Drôle de nématode pour faire parler le sol!
Ces vers, précieux indicateurs de l’activité biologique de la terre, pourraient être mis au service d’une agriculture raisonnée.
Par CATHERINE BERNARD.
Ils sont si petits qu’on ne les voit pas à l’œil nu. Bientôt pourtant, les agriculteurs auront tout intérêt à suivre à la trace les nématodes qui peuplent la terre qu’ils cultivent. Les nématodes ? Ce sont des vers microscopiques dont il est aussi précieux de connaître l’abondance et la diversité dans les sols que la teneur en fer sérique dans le sang humain. Ou presque. L’initiative fera sursauter plus d’un connaisseur : les nématodes sont surtout connus pour leur caractère ravageur. Ils se nourrissent des racines de plantes qu’ils empêchent de grandir en paix.
Protozoaires. Cécile Villenave est l’une des trois chercheuses fondatrices de la start-up Elisol Environnement, qui a développé l’utilisation de la «nématofaune» comme bio-indicateur : «Les nématodes sont abondants, explique-t-elle, mais somme toute assez peu connus. Dans les sols des forêts, on en dénombre ainsi une bonne centaine de types différents.» Et tous, loin s’en faut, ne se nourrissent pas de racines. Certains s’empiffrent de microbes, d’autres de champignons, quand ils ne préfèrent pas les protozoaires. On en trouve même d’omnivores. Bref, les nématodes ont des goûts si divers qu’il suffit de bien les connaître pour avoir une idée assez précise de la faune et de la flore microscopique qui se cache dans la terre : cherchez le nématode et une bonne partie de l’activité biologique des sols sera révélée. Or celle-ci est primordiale : «C’est grâce à elle qu’est décomposée la matière organique dont dépend largement – avec le climat -, la croissance des plantes», poursuit la chercheuse. Du moins, si l’on n’utilise pas d’engrais.
Et justement : savoir reconnaître les différents types de nématodes est d’autant plus précieux que les pratiques agricoles changent. Naguère, tout était simple. Retard de croissance, maladies… Au moindre problème, les plantes étaient traitées ou engraissées, les produits étant assez nombreux et assez généralistes pour résoudre la plupart des gros et petits ennuis. Mais c’était hier. Aujourd’hui, engrais chimiques et pesticides n’ont plus bonne presse. Et les autorités interdisent – ou limitent – l’usage d’un nombre croissant de molécules. Du coup, des pratiques alternatives, de l’agriculture raisonnée à l’agro-écologie, se développent pour répondre au nouveau paradigme : comment produire autant – voire plus dans certains pays – avec moins d’engrais non naturels et de pesticides ?
Mais se passer de la chimie industrielle n’est pas toujours aisé. «Les agriculteurs se trouvent un peu dans la même situation que les médecins contraints de mettre un terme au « tout antibiotique » : il leur faut être bien plus précis dans les diagnostics et la maîtrise de traitements plus ciblés», explique Cécile Villenave. Sauf que la recherche sur les sols ne dispose guère des moyens de celle médicale : «Elle est extrêmement restreinte», constatait Michel Griffon, agronome et économiste, conseiller scientifique de l’Agence nationale de la recherche (ANR), lors d’un forum organisé il y a quelques mois par Innov’Eco. Et lorsqu’on met le nez dans la terre, «on se limite bien souvent à étudier ses caractéristiques physico-chimiques, comme le pH, la teneur en azote, en carbone, la texture, etc.», renchérit Cécile Villenave. Sans donc se pencher sur sa biodiversité, pourtant primordiale.
Un travail de thèse, par exemple, a étudié la façon dont le sol d’un domaine viticole réagissait à la conversion du conventionnel vers le bio. «Nous avons noté une grande augmentation de la densité de nématodes. Autrement dit, un accroissement de l’activité biologique. En revanche, le nombre de genres représentés, lui, n’a pas sensiblement évolué», raconte-t-elle.
«Traumatisme». Pour l’instant, mesurer sa «nématofaune» n’est pas encore une pratique courante dans les exploitations agricoles : Elisol, à ce jour seule start-up française sur ce secteur, intervient encore essentiellement auprès de la recherche agronomique, qui souhaite mesurer l’effet de l’introduction de nouvelles méthodes de culture. Mais elle travaille également pour l’industrie : les nématodes sont en effet d’excellentes vigies du niveau de pollution des sols. «Certaines familles de nématodes, comme les mononchidae, se montrent extrêmement sensibles aux perturbations chimiques ou physiques : leur absence signifie donc que le sol a subi un traumatisme, par exemple une pollution.» Leur réapparition constituera donc un signe d’amélioration. Rien n’empêche non plus d’utiliser des nématodes tests dans certains milieux pour voir si, justement, ils y survivent…
Article paru le 15 avril 2013 dans le quotidien LIBERATION: Supplément ECOFUTUR, rubrique demain.