Article paru dans Sciences au Sud, le journal de l’IRD (SAS n° 64 avril/mai 2012) dans le dossier recherche: « la vie dans le sol ».
Lorsque les nématodes consomment des bactéries, les plantes se nourrissent mieux. Peu connus du grand public, les nématodes sont pourtant les organismes pluricellulaires les plus abondants sur terre. « On dénombre environ 1 million d’individus par m2 de sol », précise Cécile Villenave, responsable scientifique d’ELISOL environnement. « 30 à 40 % de la communauté totale consomme des bactéries. Et cette communauté de nématodes bactérivores est notamment abondante dans les agrosystèmes cultivés », poursuit-elle. S’intéressant aux relations en jeu dans ces écosystèmes complexes, des biologistes de l’IRD et de l’Université Anta Diop, à Dakar, ont constaté que la présence de nématodes bactérivores était favorable à une meilleure utilisation des éléments nutritifs par les plantes1. Des travaux récents sont venus préciser les mécanismes impliqués2.
En laboratoire, « nous avons reproduit un modèle très simplifié de la chaîne trophique : une bactérie (Bacillus), un nématode bactérivore, un champignon mycorhizien et une plante, le pin maritime, le tout dans un milieu gélosé contenant du phytate », résume Cécile Villenave. Le phytate est la forme de phosphore organique la plus abondante dans le sol. Pour être utilisé par les plantes, il doit être transformé en une forme de phosphore différente, à savoir des ions orthophosphate. « Les enzymes produites notamment par les champignons saprophytes et les bactéries comme les Bacillus peuvent réaliser cette transformation », précise Claude Passard, de l’INRA. Selon les essais menés sur ce système expérimental, les bactéries dégradent bien le phytate, mais utilisent le phosphore produit pour leur propre développement. L’action de prédation des nématodes est donc essentielle puisque c’est elle qui permet au pin maritime d’avoir accès à ce phosphore. « Deux hypothèses peuvent expliquer ce phénomène », avance Claude Plassard. « Les nématodes, en consommant les bactéries, libèrent soit un surplus d’orthophosphate, soit du phosphore organique plus facilement consommable par la plante. » Pour en savoir plus, les chercheurs vont comparer, sur un sol cette fois, deux stratégies susceptibles d’améliorer l’utilisation du phytate par les plantes3. « Dans la première, dite écologique, nous étudierons les interactions entre plantes, champignons, bactéries et nématodes. Dans la seconde, dite biotechnologique, nous souhaitons faire produire une enzyme capable de transformer le phytate, par un champignon mycorhizien », annonce Claude Plassard. Affaire à suivre…
1. Soil Biology and Biochemestry, 2004. / 2. Phosphorus acquisition from phytate, Plant and Soil, 2012. /3. Projet ANR UnlockP.
Contacts: cecile.villenave@elisol-environnement.fr (ELISOL environnement) & plassard@supagro.inra.fr (UMR Eco&Sols :IRD / CIRAD / INRA / SupAgro Montpellier)